Dès la publication de l’annonce, l’agitation avait gagné le village. Personne ne voulait laisser passer l’occasion.
Par petits groupes, jeunes, vieux, pauvres et pauvres gagnaient maintenant l’adresse indiquée au bas de l’affiche, déjà bien connue de tous. Cahin-caha, la chaîne s’étirait vers le château. Quelques rires nerveux fusaient, de certains qui comprenaient sans doute que le nouveau sentiment qui les menaient, l’espoir, n’était pas si éloigné de celui qu’ils avaient toujours connu : la crainte.
« Cherche cave. Apporter directement au château. »
Les plus chanceux, qui disposaient d’un véritable sous-sol, n’avaient pas hésité à démembrer leur habitation pour transporter à dos d’homme toutes les pièces correspondant à la demande. Ça et là, on distinguait quelques audacieux locataires qui tentaient leur chance, l’un avec une cave à vin, l’autre une cave à cigares. Moins chargés, ils doublaient les premiers, esquivant leurs projectiles de briques et de broc. Céleste, la vieille, ne portait rien. Elle menait par le bras son Bertrand, les yeux rivés sur le château. Il ne bronchait pas. Certes, tout le monde s’accordait à reconnaître qu’il était un peu cave, mais… pouvait-on jouer ainsi avec le maître ? Ils n’en avaient de toute façon plus pour longtemps. Le Serge enfin marchait seul, mains dans les poches. Il ne doublait personne.
La grande cour du domaine servait d’antichambre. On entreposait jalousement, sous le regard des gens d’armes, en attendant son tour. Un à un, les candidats étaient reçus, happés par la bâtisse, digérés certainement dans quelconques donjons, puisque aucun ne semblait ressortir. Cela ne dissuadait personne. Le Serge somnolait sur un sac dans un coin.
Lorsque vint son tour, il aperçut la longue file qui s’étalait encore dans le crépuscule, avant d’embrasser la pénombre de pierre. On le conduisit sous diverses chandelles au bas d’escaliers obscurs. Il ne distinguait pas plus loin que ses pas. Peu à peu son regard s’affina. Les longues galeries qu’il parcourait depuis quelques minutes laissaient maintenant apparaître leurs gardiens, installés comme des piquets à intervalles réguliers. Le Serge les reconnut : Ils l’avaient précédé dans la file. Tous les candidats prenaient fièrement place au long de son parcours, responsables de leurs caves qu’on avait scrupuleusement rangées derrière eux, comme la niche amplifiant le chien. Tous ces antres dépositaires des plaisirs secrets, des cadavres emplacardés, des interdits de l’existence, s’inscrivaient désormais comme fondations pour l’édifice. La galerie semblait infinie.
Il aperçut la vieille Céleste, gardant hautement son Bertrand. Son bras ne serrait plus que la lance, seulement. Lui n’avait pas la longueur de s’allonger.
Le Serge ne portait rien. Au loin, il discernait les emplacement disponibles. On l’installa bientôt comme il le pressentait, dos au mur.
Tout fut bientôt prêt. En claquant des talons, il reconnut soudain le sceptre en la lance qu’on lui avait remise, et dès cet instant, il goûta de l’arrière des genoux le velours du trône sur lequel on ne le verrait jamais s’assoir.
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