L’homme qui avait créé l’événement il y a quatre mois en vendant l’ensemble du reste de sa vie à une marque de produits de beauté a été retrouvé sans vie hier matin dans son bain ; l’attaché de presse de la marque, qui a découvert le corps lors de sa visite quotidienne, prétend que le rasoir à l’aide duquel il s’est ouvert les poignets a été fourni au défunt par une marque concurrente ; les dirigeants de l’entreprise quant à eux envisagent de poursuivre la famille pour rupture de contrat, ils pourraient demander des dommages et intérêts qui se chiffreraient en millions d’euros ; sur place, nos envoyés spéciaux ont mené l’enquête.
Il est six heures du matin ; comme tous les jours depuis bientôt quatre mois, cette jeune femme dynamique se rend à l’hôtel où réside son protégé, pour lui remettre son lot de produits promotionnels ; en plus des soins du corps quotidiens qu’il lui faudra tester, l’attachée de presse de cette grande société de cosmétiques apporte comme chaque début de semaine une véritable garde-robe aux couleurs de la marque, que l’homme s’est engagé par contrat à porter sans relâche : t-shirts, jeans, blousons, et même casquette, tout doit être reconnaissable de loin ; une grosse livraison donc, mais qui ne constitue pas le plus important ; car ce qu’apporte surtout l’attachée de presse dans un petit sac discret, c’est le nouvel emploi du temps détaillé pour la semaine que l’homme devra, de jour comme de nuit, strictement respecter ; un découpage au quart d’heure près qui ne laisse, théoriquement, aucune place à l’improvisation ; seulement voilà : aujourd’hui, tout ne se passe pas comme prévu…
- (…) j’étais un peu en avance (…) d’habitude je le vois toujours s’échauffer devant sa fenêtre pour le direct de sept heures (…) sa lumière était allumée (…) il n’y avait pas de mouvement (…) ça m’a surprise (…) quand je suis entrée (…) je suis tout de suite allée à la salle de bain (…) je savais que quelque chose n’allait pas (…)
Oui, quelque chose ne va pas ; l’emploi du temps n’est pas respecté, et pour cause : d’après les premières observations de la police, cela fait au moins trois heures que l’homme a brutalement mis fin à son contrat, sans préavis ; une décision que personne dans son entourage ne comprend.
- (…) il arrivait plus à s’en sortir (…) avant (…) on le voyait débordé de tous côtés (…) ce contrat (…) ça lui a sauvé la vie (…) il était redevenu souriant (…) c’est inexplicable /
- (…) ça me faisait plaisir de voir mon fils (…) dans cet état (…) ça faisait bien longtemps (…) on le voyait plus trop sauf à la télé (…) mais on savait qu’il était (…) heureux (…)
Un homme épanoui donc, dont nous ne pouvons pourtant pas citer l’identité puisqu’elle constitue toujours une marque déposée de l’entreprise à laquelle il avait décidé de la céder ; un contrat qui avait suscité de nombreuses réactions à l’époque ; aujourd’hui, chacun croit bon de tirer le bilan.
- (…) cela ne remet pas du tout en cause la pertinence de la démarche (…) nous sommes fiers d’avoir été novateurs dans ce domaine (…) il était extrêmement bien traité et (…) nous accédions à ses moindres désirs (…) c’était une personnalité sans doute trop instable (…)
- (…) comme si cela pouvait durer éternellement (…) la mise en place a été bâclée (…) nous travaillons actuellement à un système beaucoup mieux conçu que le leur (…) ça ne sert à rien d’être le premier dans l’échec (…) rendez-vous dans quelques mois (…)
- (…) nous n’allons pas nous arrêter là (…) des milliers de nouveaux candidats se bousculent (…)
- (…) ça fait de la place pour les autres (…) c’est vrai c’est lui qui a initié le truc mais (…) on pouvait aller beaucoup plus loin (…) je serai bien meilleur que lui (…)
De nombreuses entreprises sont aujourd’hui sur les rangs, malgré le brevet déposé à l’international ; des concurrents que notre première interlocutrice n’hésite pas à montrer du doigt.
- (…) avant que la police arrive (…) j’ai bien vu le rasoir qu’il a utilisé (…) on ne fabrique pas ce genre de modèle (…) je sais très bien (…) qui les fabrique (…)
Personne au siège de la société n’a voulu commenter ces accusations, mais l’enquête en cours n’écarte pas l’hypothèse du meurtre ; la famille du défunt, en revanche, a eu droit à quelques avant-goûts salés…
- (…) on ne voulait qu’une chose (…) récupérer le droit d’utiliser le nom (…) eux ils pensaient qu’on voulait (…) qu’on nous laisse simplement tranquille (…) ils ont appelé plusieurs fois pour (…) nous menacer (…) ça risque de nous coûter cher (…) c’est ce qu’ils ont dit (…)
Alors que la bataille juridique ne fait que commencer, beaucoup s’interrogent aujourd’hui sur la nouvelle stratégie marketing de l’entreprise à la suite de l’événement qui, en lui-même, se révèle être un bon coup de pub pour cette marque un peu particulière.
- (…) c’est une occasion inédite (…) il faut rebondir (…) capitaliser sur la surprise (…) c’est un énorme défi à relever (…) passionnant (…)
Une chose est sûre, pour la marque qui fut autrefois l’identité d’un homme dont le but était précisément de changer d’existence, l’objectif est atteint : rien ne sera plus jamais comme avant…
Avant de passer au sport, un mot de politique maintenant, avec la guerre contre le terrorisme qui se poursuit jusque sous nos drapeaux ; cet après-midi, une explosion a secoué le sud de la capitale ; une école maternelle a été la cible de l’attaque revendiquée par un mouvement jusque alors inconnu, le GPTO – Groupe Pacifiste contre la Terreur Occidentale ; l’explosion a heureusement eu lieu pendant la récréation, limitant le nombre de victimes ; pendant que les pompiers et les gendarmes continuent de fouiller les décombres, on dénombre à l’heure actuelle vingt-deux blessés, dont trois enfants grièvement atteints ; il semblerait que…
Partager ce texte